Le regard est fragile et terriblement présent. Il témoigne avec évidence de la recherche de l'artiste. Tout ici est dans le subtil, la nuance, la transparence... tels ses yeux. Ma première rencontre avec Dollé-Lacour, c'est d'abord avec son regard. Ce regard se retrouve dans son œuvre, y compris par les couleurs.
On l'a dit et répété : nombre d'artistes s'expriment aujourd'hui par des signes, des graffitis - symbole de nos comportements les plus ataviques -, Influence sans doute, nuis également souci de retrouver des racines souvent brouillées par une société d'apparence et de futilité. Bien que proche de cet esprit, Dollé-Lacour s'en éloigne. Là est sa différence et sa singularité. Son rapport aux signes est autre, même s'il part d'un constat identique. Ses signes sont organisés réfléchis, presque interrogatifs. Sous des aspects rustres, parfois même instinctifs, se dissimule une Ouvre éminemment mentale. La réflexion prévaut. Le support n'est pas neutre : papier kraft, goudron, exploitation des ingrédients qui constituent ce papier. Le support et son élaboration procèdent de la démarche créatrice, en sont les indispensables prémices, participent pleinement de l'œuvre. Une permanence se manifeste. Elle se situe dans les couleurs. De proposition en proposition, elles reviennent à l'identique. Le noir, l'argenté dominent. Ce sont eux qui structurent la toile.
L'artiste nous révèle un monde changeant, insaisissable, cristallin et limpide, un univers aquatique et végétal. On a l'impression parfois qu'un simple frémissement, un souffle vont modifier l'organisation de l'œuvre, lui donner une autre dimension. La vie s'impose. Celle des pierres, de la pluie sur le sol, du vent qui passe. Il y a, chez DolléLacour, une volonté de transcrire les aspects les plus intimes, les plus secrets de la nature, de la matière telle que son regard les capte et son esprit les transforme. De débusquer ces secrets auxquels plus personne ne pense, ces lieux magiques où l'infiniment petit se manifeste. La puissance du goudron - matière utilisée pour le noir - ajoute au trouble. Ce matériau fort et dense devient léger, aérien s'intègre par miracle dans ce propos où tout flotte, bouge, s'anime.
Là, se situe la spécificité de l'artiste. Les signes ne témoignent pas. Ils vivent. La multiplicité des ingrédients, leur variété ajoutent à cette impression de vie qui se dégage de l'œuvre. Le format carré, base de ce travail, impose ses contraintes. L'artiste paraît les aimer. Elle y projette non pas des signes, mais les siens. Ceux qui sortent de son imaginaire et qui agitent sa pensée. Ils ne ressemblent à rien, leur accumulation pourtant nous révèle un monde bien particulier où tout paraît familier. Il y a, là, comme une similitude avec certains travaux japonais classiques. L'artiste nous donne à voir des paysages improbables dont seul son esprit maîtrise les complexités.
Derrière une fragilité, une douceur apparente, l'œuvre de Dollé-Lacour nous dit un monde fort, violent et compliqué où le hasard n'a que peu de place, où la vie - organisée et excessive - triomphe.