Sait-on jamais le destin des signes ? L'art contemporain intègre depuis toujours ces signes étranges, parfois identifiables, parfois sibyllins qui renvoient aux interrogations profondes de l'homme, à ses plus quotidiennes préoccupations. Ils sont l'accompagnement naturel de son combat avec lui-même, combat pour vivre. Traces d'aventures individuelles ou collectives, ils marquent, balisent la longue marche des hésitations, des doutes, des croyances de l'humanité. Ces signes traversent le temps, ignorent les frontières. lls vont comme de soi sur les œuvres d'aujourd'hui, où ils prolifèrent. De la caverne à la toile, du désert aux cimaises, ils vont. Ils sont. Chez Monique Dollé-Lacour ils venaient d'Afrique. Magie de la transmutation, du passage, de la capacité à inventer. Ils ont permis l'émergence d'un langage, d'un vocabulaire, d'une écriture spécifique. Ils ne ressemblent à rien mais restent signes. Par eux, à travers eux Dollé-Lacour suggère un univers de vie, de grouillement, de sauvagerie et curieusement d'apaisement.

Espace fort - pour l'essentiel carré - Dollé-Lacour l'investit avec délicatesse, presque fragilité, sentiment accentué par l'utilisation exclusive du papier. Premier décalage. Le second tient aux couleurs. La palette est restreinte. L'œuvre chatoyante. La juxtaposition de tons sobres renvoie à une forme d'exubérance, d'incandescence - mot plus juste -. Il y a de la braise dans ce travail là. Bien que les dernières œuvres aient la fluidité des mondes aquatiques. Des herbes folles, des fougères - en fait des signes - paraissent vibrer au rythme d'hypothétiques courants. Hier couleur de terre, de feu, elles sont actuellement dominées par les noir, gris, argente, ardoise.

Sait-on jamais le destin des signes ? Ils sont ici moyen de vie, plus qu'expression. Dollé-Lacour cherche, se cherche. La toile - Support du papier - n'est que prétexte à cette démarche. On serait tenté de dire que l'acte intervient en temps réel. La toile est un instant - non distancé - de l'artiste. Un moment de sa liberté extrême. Mais voilà, que de réminiscences charrie la liberté, que de folies augure-t-elle ? Le tableau renvoie à toutes ces ambiguïtés. Dégoulinements, griffures, nous entraînent vers l'instinct, la primitivité, mais le carré, le papier, l'écriture, les paysages probables, vers où nous entraînent-ils ? Y a-t-il cohérence ou paradoxe ? Simplement le doute exprimé d'un artiste dont l'exigence tient à l'obsession de découvrir son monde, ses ambiances, sa musique. Drôle d'endroit pour une rencontre ! C'est là pourtant - dans le papier - que Dollé-Lacour se retrouve. Impudeur du parchemin qui dans ses graffitis élaborés montre une âme.

Outre ce que l'œuvre peut enclencher de chimères dans l'œil du spectateur, elle est aussi - mais pas surtout - un fait plastique que l'on peut voir comme tel. Tout ici est tension, accumulation, accélération... Tension due aux formats, aux matériaux, à l'utilisation du bitume, à la verticalité affirmée, aux couleurs si proches et jamais semblables. Accumulation des matières, des aléas du papier, de ceux de la colle qui permettent un marouflage à la fois parfait et approximatif, ajoutant à la fragilité, accumulation aussi de ces éraflures - pas vraiment signes - mais toujours présentes.

Accélération enfin nécessaire pour dire l'urgence, signifier si fortement l'instant tout autant que ses limites. Accélération de l'acide qui ronge le métal. On Se consume sur ces papiers de même que l'on jubile. Dans cette proposition existentielle, Dollé-Lacour nous convie à l'errance, mais une errance partagée… dans un univers - le sien - que nous découvrons ensemble. Elle et moi. Elle et d'autres. Elle toujours.