Plus "jeté" que tracé, le graphisme se donne comme spontané. Plus possible de le contenir, de le garder en soi, Mais il n'a pas été prémédité pour autant : la question de nécessité avant celle de définition formelle. C'est cela, semble-t-il, une nécessité qui pourrait bien être dite, écrite ou bien rêvée, mais qui finalement se peint parce qu'il faut, en bout de course, que la couleur ruisselle, que la pointe incise, que s'arrime la déchirure. A travers la scansion des plans et des signes, Dollé Lacour provoque l'inconfort, la mise en péril du tableau. Elle recherche l'aléa qui ne se retrouve qu'à certains instants rares, privilégiés ; débusque le geste régressif qui anéantit les contraintes, les redites, les espaces cloisonnés. Ses couleurs se signalent aux tressaillements des éléments, ses bleus rejoignant les eaux tumultueuses du fleuve, ses ocres charriant une terre lourde détrempée par les crues. Matières, elles sont gravées parfois jusqu'à la ligature.

Car il ne faudrait pas croire, en effet, à quelque douceur en dépit de l'embellie qui souvent se profile. Toute approximation est ici bannie : des lignes organisent la surface de la toile, l'articulent. Le signe centré se lit comme un accroc qui ne peut échapper au regard. Tableau-cible labouré par le socle de la charrue, griffé par les serres d'un invisible prédateur. Tableau-cible où se fichent des lances guerrières. Tableau-barbelés. Tout se passe comme si le peintre, s'étant évalué et jugé trop en retrait, avait élu le repentir comme récurrente pratique. Alors la déchirure devient arrachement, le collage un masque ou un manque, le trait une rature - jusqu'à la fusion, le graphisme tellement serré qu'il forme rideau.

En cela, cette peinture convoque le séisme, délimite l'arène où se jouent toutes les causes, l'artiste se mesurant au prisme de l'abstraction. A l'évidence, Dollé Lacour n'a pas voulu faire table rase de l'histoire proche. Les plus grands l'ont accompagnée, l'accompagnent encore, tout comme elle n'a pas renoncé au graffiti, initiale ou contours maladroits tracés par la main qui hésite ou griffonne prestement, libre, sublime.

Dollé Lacou ne s'impose pas seulement comme un peintre jeune qui tiendra ses promesses. Elle a l'impatience, l'énergie des êtres agissants et sans doute, voudrait-elle que les choses s'accélèrent encore. De salutaires intermèdes en Bretagne lui prodiguent une nécessaire respiration.

Il faudra bien suivre sa piste pour ne pas passer à côté d'une œuvre.