Sans revendication initiatique, comme c’est parfois le cas des artistes tentés par l’Orient et par les signes, Monique Dollé-Lacour donne à voir dans ses toiles rouges une quête de la lumière, dévoilée dans son séjour en Arabie Saoudite, avec une fusion des formes et des lignes calligraphiques.
Elle crée ainsi un espace de méditation qui interroge les civilisations à travers le scriptural. Elle y affirme la disposition universelle de son parcours. Comme dans une fresque, on assiste, là, à une mise en espace de fragments ; les formes ne sont ni brisées ni désintégrées, mais émanentes et estompées, usées par le frottement que le temps produit sur toute œuvre.
Les extrêmes se posent sans s’opposer, car les gris métallisés renforcent les pigments solaires en les solarisant. Ces tons d’ardoise délavée captent la combustion et ses traces, minéral portant les « gemmes rouges », chères à Paul Valéry.
On pense à Matisse au Maroc, à ses architectures de couleurs vives, sensuelles, dynamiques. « Après une période très refroidie dans la palette », constate Monique Dollé-Lacour, la fascination du rouge s’impose avec la découverte de « la chaleur sur soi », sensation contrecarrée, dans la culture musulmane par le tabou du rouge dans le costume, trop évocateur du sang des femmes et de l’amour. Les aspects graphiques de ses toiles détournent cette défense en faisant du rouge le support, et, en quelque sorte, le vêtement de l’écriture. Une écriture saturée, verticale , dans la recherche incoercible de frontalité, où glyphes et pictogrammes stylisés apparaissent comme des accidents sur un mur que le travail du peintre, en dialogue avec son inconscient, réaffirme et réinvestit.
L’utilisation des buvards intensifie cette sollicitation de la fluidité par l’empreinte et la gravure. Ainsi le fortuit rencontre-t-il le désir de dire à travers le mirage de l’incommunicable.
Il ne suffit pas que Stendhal, en littérature, ait associé « le rouge et le noir » pour désigner les tentations extrêmes, contradictoires et incompressibles de la spiritualité religieuse et de l’amour. Toutes les cultures savent d’expérience qu’une pesante « obscure clarté » gouverne le péril de ces tonalités. Et il n’est pas anodin qu’une œuvre enveloppante comme celle de Rothko dans sa phase éclatante, ait évolué dans le drame tragique du deuil en peinture puis du suicide, ou que celle de Barnett Newman ait manifesté la référence au sacré par le choix de ces deux couleurs. Le rouge est habité, comme nous le constatons, sur un autre versant pictural, dans le « Grand intérieur rouge » de Matisse, en 1948, ou dans « La
Promenade des Anglais à Nice », en 1947, de Max Beckmann. Il est chargé ; c’est, comme on dit, une couleur chaude. Mais cette chaleur ne se borne pas à créer une proximité émotionnelle avec les objets et le paysage, elle intensifie et transmet le concept d’espace et l’intention spirituelle. En lui imposant une tension sensible, temporelle. Double bind : mouvement de rapprochement entre le corps et son désir d’élévation.
Les œuvres présentées au Stade de France composent par le rouge une riche alternance de pensées de la matière et de projection de la surface, dans des registres différents, malgré leur unité d’abstraction et leur harmonisation sur un thème.
Ainsi le spectateur peut-il trouver, dans cette exposition, un aliment flamboyant pour provoquer son imaginaire, de la sublime quiétude à une intense vibration.